Carnet de route de Slovénie et petit retour sur expérience des affûts aux ours …
Hello le monde !
Comme certains d’entre vous le savent, lors du dernier festival Nature Namur, j’ai eu la chance de gagner un voyage nature “all-inclusive” grâce à Wildpix & Slovenian Bears.
Quelques mois, un avion et 2 heures de vol plus tard, me voici en train de survoler les montagnes slovènes…
Atterrissage en douceur et premier constat sur le tarmac de l’aéroport de Ljubljana : C’est calme … (deux tapis roulants à valises et trois taxis se battent en duel)
Mais surtout… C’est beau !
Le paysage est ultra vert et les espaces ont l’air immenses…
Ça promet !
Avant de rejoindre l’équipe de Wildpix & Slovenian Bears le lendemain, je profite d’une rapide journée touristique dans la magnifique ville de Ljubljana pour tester la gastronomie locale et rencontrer quelques artisans à la découverte des dragons de la région.
À refaire avec un peu plus de temps à l’occasion, la ville est on ne peut plus paisible charmante et la nourriture à tomber par terre, bref, je reviendrai !
Au passage, je décide de louer une voiture pour aller jeter un œil à la petite ville de Bled (si si), et son fabuleux lac…
Magnifique endroit, mais les orages slovènes n’ont rien à envier aux orages belges…
L’accueil déménage un peu, mais j’arrive entière au b&bn du soir pour passer la nuit.
Rendez-vous avec nos hôtes dès le lendemain à l’aéroport pour rejoindre Markovec, charmant petit village slovène, entouré de montagnes, de forêts et bien entendu… d’ours bruns !
Un peu d’autoroutes avant d’emprunter de petites routes vallonnées plus sympathiques qui mettent tout de suite dans l’ambiance…
Difficile de se reposer pendant le trajet tant les vallées sont jolies.
Il faut dire qu’avec un territoire recouvert à quasiment plus de 60% par la forêt (selon nos hôtes et un rapport des services forestiers slovènes de 20051,2,3) ainsi que des paysages à couper le souffle, le pays offre de belles possibilités de randonnées pour les amateurs naturalistes passionnés ainsi qu’un beau panel d’opportunité pour photographier une faune et une flore variées (tant pour les professionnels que les amateurs du dimanche ou les non-photographes bien entendu).
Toutefois, bien que la Slovénie bénéficie d’un cadre naturel qui semble préservé et d’une importante faune sauvage, une question me taraude encore…
Comment allons-nous parvenir à voir les ours dans leur habitat naturel sans difficulté ?
S’ils se cachent au fond de ces denses forêts, ne comptez pas sur moi pour me lancer à leur recherche à l’aveuglette… Je ne tiens pas à finir en steak haché !
Fort heureusement, nos hôtes sont experts en la matière…
Ils connaissent le terrain comme leur poche et ont construit une série de différents affûts complètement aménagés à notre attention pour éviter au maximum les nuisances, et ainsi nous permettre d’observer les ours en toute sécurité…
Afin de s’assurer de la présence de ces plantigrades (enfin plantigrades c’est seulement valable pour les pattes arrière vu que concernant leurs pattes avant il paraît que l’on parle de digitigrade – Merci Wikipédia -), nos hôtes nous expliquent qu’ils laissent à leur disposition une certaine quantité de nourriture.
L’observation de l’ours est-elle garantie dans ces conditions?
Pas forcément, et la patience, et l’attente composent la majorité du programme, mais sur une bonne partie de ces sites d’observation, la rencontre avec l’ours est effectivement facilitée, car les animaux y sont régulièrement nourris par les propriétaires des lieux… (et c’est de ça dont on va causer dans cet article justement).
Et bien apparemment cela dépend des sites (et des pays aussi)…
Dans le cas des affûts que j’ai expérimentés, c’est au maïs et aux fruits, mais cela semble très différent d’un endroit à l’autre (et on va y revenir par après).
Ce nourrissage permet donc que de nombreux ours demeurent dans la région et soient plus « facilement » photographiés depuis les affûts proposés par le site.
Est-ce bien raisonnable me direz-vous ? S’agit-il alors encore d’animaux “sauvages” et réellement “libres”?
Le nourrissage n’interfère-t-il pas avec le comportement naturel des animaux (et l’évolution de leur nombre)?
Et bien c’est là toute la question que je me suis posée durant ce voyage…
(Chat slovène perplexe ne sachant plus trop quoi penser … )
J’ai donc beaucoup interrogé nos hôtes à ce sujet (qu’ils me pardonnent mes questions harcelantes), ainsi que certains habitants de la région et je me suis également documentée un peu (bah oui, quand y a pas d’ours, on s’ennuie un peu quand même pendant 6-7 heures dans un affût)…
Consignant régulièrement l’évolution de mes états d’âme dans le journal pas très intime qu’est mon smartphone, j’ai eu envie de partager ma réflexion avec d’autres (toi qui lis ce texte) après maintes tergiversations (J’ose ? J’ose pas ? Brrr, se mouiller c’est s’exposer, qu’est-ce que je fais… ?)…
Et finalement voilà… J’ai écrit et me suis enfin décidée à mettre en ligne cet article..
(Rapace slovène prêt à critiquer virulemment cet article si le contenu ne lui plaît pas…)
La question du nourrissage des animaux en photographie animalière (comme en tourisme animalier d’ailleurs) est un sujet complexe et les avis divergent largement parmi les amateurs comme les professionnels. L’appâtage est bien souvent déconseillé et ayant régulièrement entendu de nombreuses critiques à l’encontre de ce type de pratique, j’avoue que je ne me serais pas spécialement offert ce genre de voyage organisé a priori…
Mais voilà, face à ce voyage gratuit, je me suis interrogée longuement quant à mon éthique personnelle, et j’ai finalement décidé de me rendre sur place histoire de « me faire un avis » (et aussi bien entendu pour en profiter pour faire quelques photos, faut pas rire non plus).
Envie de faire des photos versus éthique perso… 1 point.
Donc, après quelques affûts/discussions/réflexions, un premier constat qui émerge c’est invariablement le lien avec le monde de la chasse.
En effet, nous sommes ici dans des forêts qui (a priori de ce qu’on me dit) appartiennent en grande partie à d’anciennes familles de chasseurs, qui nourrissent les ours depuis des générations “pour les éloigner des villages et faciliter la cohabitation avec l’homme” nous explique-t-on…
S’en suivrait depuis peu la reconversion de certains de ces chasseurs en guide nature et photographes animaliers (re-conversion éthique ou économique, chacun se fera son avis sur la question, je n’ai pas osé demander les fiches de paye de chacun, si vous avez des plans, je suis preneuse).
C’est ainsi qu’auraient commencé les débuts des affûts-photos payants sur les sites de nourrissage en question (également dénommés “feeding stations”).
À priori donc, le chasseur et le photographe profitent du même système de nourrissage, suivi comme toujours d’une “nécessaire régulation”…
Boum, patatra, éthique par terre…
Je fais des photos d’ours qui, par la suite, seront abattus par les chasseurs, mais qu’est-ce que je fiche ici ?
Oui, mais attends me murmure une petite voix dans mon cerveau…
Quel est l’œuf et/ou la poule dans cette situation ? Les feeding stations existent depuis toujours pour garder les ours dans les forêts non ? Et du coup la cohabitation avec les humains est relativement bonne et les populations d’ours slovènes se portent bien parait-il …
Mais est-ce que ce nourrissage artificiel ne va pas faire changer cela et augmenter encore plus la population des ours menant à plus de régulation? Et quid de la modification de leur comportement si la nourriture est enlevée ? …
Mon cerveau cogite longuement tout en admirant l’ours qui vient d’arriver après plusieurs heures d’attentes et qui semble plutôt bien portant…
Envie de photo versus éthique perso… 1 partout balle au centre…
On pourrait évidemment suivre le principe du rasoir d’Ockham et s’en tenir à la conclusion rapide qu’il faille bannir définitivement ce type d’affûts, histoire de ne pas contribuer au système, mais les choses ne sont peut-être pas si simples… (Bah oui sinon la vie ne serait pas rigolote non plus)…
Les choses ne sont pas si simples, car en faisant des comparaisons rapides et grossières et bien on arrive à des conclusions tout autant simplifiées, il faut donc prendre le temps d’y réfléchir (d’ailleurs à ce point-là de mon texte, si vous me lisez toujours, j’en déduis que vous avez choisi de prendre ce temps et c’est tant mieux…), de comparer les avis, et de croiser les différentes sources d’informations disponibles…
Du coup, comme je ne suis pas spécialiste de la question et que je ne compte pas m’ériger journaliste-photographe-scientifique-lanceur d’alerte au grand cœur (avouons-le j’aimerais bien, mais j’ai un autre boulot en vrai) ; et bien je vais devoir me contenter de vous parler de mon expérience, complétée par 2-3 informations additionnelles que j’ai pu récolter par-ci par-là, et puis à vous de vous faire votre avis et on en cause,… (c’est ça le point…).
Revenons donc un peu plus sur la question de la comparaison avec la situation de la chasse…
Si on compare avec la situation chez nous en Belgique ou en France par exemple (bah oui quitte à lancer un pavé dans la mare autant y aller franchement non?).
Les sangliers nourris au grain, les cervidés au foin ou encore les faisans d’élevages élevés en batterie pour être ensuite abattus pour le plaisir ne sont-ils pas tout autant une manière hypocrite de pratiquer une autre forme d’activité de plein air ?
(Faisan belge inquiet pour son avenir)
Le photographe amateur naturaliste ne devrait-il pas avoir une meilleure éthique que le chasseur dominical ?
Sans aucun doute oui… et pourtant…
Et pourtant, certains photographes ne profitent-ils pas souvent de ces mêmes situations en Belgique et en France ? (Oui oui, j’ose !)
Ces endroits où sangliers et cervidés se retrouvent régulièrement, car nourris durant l’année par les chasseurs sont-ils moins « nobles » à photographier ?
(Couple d’ours slovènes fatigués par les questionnements d’une petite belge)
Vous allez me dire que c’est différent, car “bien entendu” ces photographes ne payent pas (toujours) pour profiter de ces espaces, et n’entretiennent donc pas le système… Et vous auriez sans doute raison (du moins en partie seulement, car dans le “dark side of nature”, de nombreux arrangements particuliers existent sans doute également, mais on s’éloigne)…
Vous auriez raison donc…
Toutefois à nouveau, lorsque l’on fait ce genre de comparaisons à l’emporte-pièce, et qu’on opte pour un jugement « blanc ou noir », on a sans doute tendance à oublier quelques éléments spécifiques à chaque situation…
La taille et l’aménagement du territoire, la densité d’habitant au mètre carré, la répartition des animaux, le type et la fréquence de nourriture proposée dans les feeding stations, leurs nombres, la fréquence de leur utilisation, les facteurs locaux culturels ou économiques qui ont menés au nourrissage par le passé, etc, etc…
Bon, après on peut aussi être puriste et se dire que quoiqu’il arrive, on ne devrait pas nourrir du tout les animaux, car cela interfère avec leur condition naturelle…
Mais alors quid des petits oiseaux à qui l’on propose des graines en hiver ? Deux poids, deux mesures ? Et que reste-t-il de naturel à notre société d’ailleurs ?
Secouage de neurones puissance 10000, si vous êtes encore là retenez votre respiration, ça va encore se compliquer…
Donc, prenons par exemple la question de l’habitat.
Au fil des discussions avec nos hôtes et les habitants du coin il semblerait que la cohabitation entre l’homme et l’ours soit plutôt positive en Slovénie… (Là je dis « semblerait » parce qu’il ne s’agit que de ma propre expérience selon les échanges humains du moment et non des résultats d’une étude randomisée en double aveugle hein).
Avec une présence majoritairement dans les forêts (grâce au système de nourrissage?), et quelques sorties en périphérie en automne histoire de voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs (et tester le goût des pommes du verger de l’habitant par la même occasion), les incidents seraient assez rares jusqu’à présent …
Toutefois ils auraient tendance à augmenter aujourd’hui et une régulation plus importante de la population devrait intervenir très bientôt en fonction des réunions à venir du nouveau gouvernement (à venir lui aussi) …
Ça, c’est pour le point de vue sur place…
Oui, mais bon me dit ma petite voix… C’est normal que la cohabitation se passe mieux en Slovénie que par chez nous… Il y a certainement beaucoup moins d’habitants au kilomètre carré dans ce pays vu la taille de leurs forêts !
Bon, je ne m’y connais pas particulièrement, mais si je regarde naïvement les informations disponibles au grand public sur internet, je peux déjà voir que la Slovénie compte une densité d’habitants de plus ou moins 95, voir 102 habitants au kilomètre carré (à nouveau, merci Wikipédia, mais il faudra revérifier ta copie), comparativement à la Belgique (364 hab/km2), la Finlande (16 hab/km2) ou encore le Canada (3,3hab/ km2 , si si..).
C’est donc ça la différence !
Euuuh, oui, mais en fait, si on regarde la France, c’est quasiment la même densité d’habitants que la Slovénie en fait – 112 hab/ km2)… Du coup, foireux cet argument ?
Pas tant que ça, car il ne faut pas oublier qu’il s’agit de moyennes, et qu’il y a donc aussi une question de répartition de ces habitants au km2… De plus on n’a pas vraiment parlé de la surface forestière de ces pays… Avec plus de 60% en Slovénie contre seulement 31% en France et 22,6% en Belgique3,4, il est sans doute possible que la Slovénie accueille une flore et faune beaucoup plus variée de par l’étendue de ses territoires naturels… Si on veut continuer proprement ce raisonnement, il serait également opportun de connaître la densité d’ours bruns au mètre carré, mais je ne suis pas non plus experte dans ce domaine (et là Wikipédia est dépassé), voici donc à la place quelques-unes des informations que j’ai pu trouver pour compléter ma réflexion.
Si on regarde à nouveau sur le site ‘Slovenia.is’ 5, on retrouve une population décrite comme assez stable, d’environ 500 à 700 ours, avec une tendance à l‘augmentation ces dernières années selon cet autre document de 2007 6 du Ministère de l’Environnement et de l’aménagement du territoire. Ce document présente notamment la volonté de préservation de la population des ours en Slovénie tout en favorisant le maintien d’une cohabitation possible avec l’homme via la régulation (il serait s’ailleurs très intéressant de comparer avec les chiffres de la régulation en France ou Belgique, mais je n’en ai pas eu l’occasion, avis aux amateurs…).
Notez que dans ce rapport, les feeding stations sont décrites comme étant potentiellement un facteur important contribuant à l’augmentation des ours…
Haaaa voilà, ça y est, ça se confirme … Les affûts proches de ces stations de nourrissage c’est MAL…
Ours hésitant quant au raisonnement à tenir face à tant d’arguments…
Bah oui, mais bon, qui l’a écrit ce rapport d’abord ? Sans vouloir remettre en cause quoi que ce soit, pourrait-on imaginer que certains trouvent un intérêt à ces chiffres ? Et est-ce que cela indique qu’il y a plus de feeding stations qu’avant ou est-ce que ce sont les anciennes actuelles recyclées par les ex-chasseurs ? Et quid de l’éventuelle corrélation entre l’augmentation des déclarations d’incidents liés à l’ours et les aides financières de l’état ?
Vous êtes perdus ?
Moi aussi, et c’est bien, ça fait travailler les méninges, c’est bon pour la santé …
Cigogne slovène qui se fiche éperdument de savoir ce qu’il en est…
Donc, après cette question de l’habitat, si on va voir d’un peu plus près les feeding stations en tant que telles, il est certainement utile de se pencher aussi sur la question du type de nourrissage pratiqué et de sa fréquence.
Ici chez Slovenian Bears, il s’agit de maïs et parfois quelques fruits qui sont disposés sur les sites des affûts photo (en tout cas c’est ce qu’on nous dit et ce qu’on observe durant notre présence, mais, à nouveau, on n’est pas venu contrôler toute l’année). Quant à la fréquence, si de petites quantités de maïs sont disposées à chaque affût, il y aurait également un nourrissage plus régulier tout au long de l’année (mais nous n’avons pas les informations exactes à ce sujet).
De toute évidence, ce n’est pas pareil dans toutes les “feeding stations” (de Slovénie ou d’ailleurs)… Certaines proposant, parait-il, des croquettes pour chien ou des saumons congelés7…
Du coup, est-ce que cette nourriture additionnelle fédère les ours au point qu’ils viennent se nourrir chaque jour dans ces endroits (garantissant alors les possibilités de photographies) ?
Oui et non. En ce qui concerne notre expérience et celles des groupes avec lesquels nous étions, il était tout à fait possible de faire des heures d’affûts et de revenir bredouille, comme partout (à cela près que c’est toujours un peu plus confortable de patienter dans un affût confortable assis sur une chaise avec un dossier à l’abri du vent et de la pluie plutôt que sous un filet “under the rain”,… surtout dans une forêt remplie d’ours, de lynx et de loups, mais le plaisir n’est peut-être pas le même non plus, on est bien d’accord).
Alors, bien ou mal ce nourrissage additionnel ? À nouveau je m’interroge…
Finalement est-ce que c’est différent des quelques graines que l’on donne aux mésanges dans son jardin l’hiver ? Ou du maïs des sangliers ? Des charniers organisés pour attirer buses ou autres grands prédateurs ? Ou encore des proies vivantes proposées par certains stages histoire d’avoir la photo parfaite de l’oiseau de proie en chasse ?
Dans le fond, est qu’il y n’y aurait pas un « gradient » dans le type de nourriture, la quantité à disposition, et la manière dont celle-ci est proposée ?
Je pense que les puristes ne seront sans doute pas d’accord avec moi (bannissant tout type de nourrissage, quel qu’il soit)…
Mais naïvement à priori, j’ai l’impression que des différences existent, et certaines pratiques me paraissent plus ou moins “graves” que d’autres (et cela ne reste que mon avis bien entendu). Du coup, pour les ours c’est plus ou moins grave ?
Je continue ma réflexion en creusant sur le web à la recherche de plus d’informations…
Et voici que je découvre cet article: « Consequences of brown bear viewing tourism: A review. »7 qui présente une revue de la littérature concernant les potentielles conséquences des activités de “bear watching”… plus spécialement au sujet des ours bruns d’Amérique du Nord et d’Europe…
Ça tombe à pic !
L’article présente notamment les différents “avantages et inconvénients” de cette forme d’écotourisme en scindant d’une part les sites d’observation pratiquant le nourrissage (comme les affûts slovènes) et d’autre part les sites ne le pratiquant pas (comme les observations des ours en bateau en bord de mer au Canada où dans certains parcs nationaux).
Bon, à ce stade si vous êtes toujours là c’est que vous êtes vraiment intéressés/courageux et que, (je n’en doute pas), vous allez tout de suite télécharger et lire cet article du début à la fin…
Au cas où ça ne serait pas le cas, j’ai résumé ici pour les plus pressés quelques-uns des points principaux (et j’ai rajouté quelques photos pour vous encourager à poursuivre).
Sites d’observations sans nourrissage : | Sites d’observations avec nourrissage : | |
Effets potentiellement « positifs » (ou moins néfastes) |
– Modifications de certains comportements en fonction du sexe et de l’âge (ours mâles plus faibles ou jeunes femelles qui évitent les ours dominant en privilégiant la recherche de nourriture le jour et les sites d’observations => refuges temporaires).
– Pas de modification du comportement alimentaire par une source additionnelle fournie (et du coup à priori évolution naturelle de la taille de la population selon les ressources disponibles ?) |
– Présence de l’humain moins visible et limitation du dérangement (sur les sites avec affûts fixes, entrées et sorties des affûts dans les heures de moindre présence des ours).
– A priori pas plus d’interactions négatives entre les ours par rapport aux ressources (pas de preuves à ce stade en tout cas). |
Effets négatifs | – Modification du comportement des ours au contact avec l’homme (éloignement, espace parcouru supplémentaire, comportement de reproduction,…)
– Développement d’une habituation à la présence de l’homme => augmentation du nombre d’accidents (ours heurté par une voiture,…) |
– Modification du comportement => impact sur la santé des ours (cycles circadiens, mise bas, hibernation,…)
– Modification de la densité de la population d’ours. |
NB : À noter que les sites sans nourrissage présentés ici semblent être généralement des sites sans affûts (rendant bien visible la présence de l’homme pour l’ours), là où les sites d’observations avec nourrissage semblent plutôt être équipés d’affûts.
Ceci éclaire-t-il notre prise de position sur le nourrissage des animaux ? Bah à vrai dire personnellement à ce stade c’est encore plus confus dans ma tête, donc disons que je vais continuer à écrire (et vous à lire si le courage vous en dit) histoire de voir si mon avis se détermine mieux ou si je m’y perds définitivement…
Bon, bien entendu je me dis qu’il serait préférable que les animaux trouvent d’eux-mêmes leurs ressources et ne soient pas dépendants de l’homme …
Mais au final est-ce que réfléchir comme ça n’est pas un peu hypocrite ?
Hypocrite ? Moi ? Qui ? Où ça ?
La nature humaine est complexe (variante “d’hypocrite”), et même si nous exprimons souvent ce désir de ne pas rendre dépendant les animaux (associé à une certaine antipathie pour la chasse chez beaucoup d’entre nous), nous sommes aussi encore nombreux à consommer aujourd’hui régulièrement de la viande et/ou des oeufs sans avoir envie de savoir comment tout cela est arrivé dans notre assiette….
Nous n’avons pas trop envie (et moi la première en ce qui concerne les œufs tout du moins) de penser à ce qui arrive à ses jeunes génisses à l’abattoir ou aux milliers de jeunes coqs hachés menus avant même d’avoir pu faire trois pas…
Mais quel rapport avec nos copains les ours allez-vous me dire ?
Et bien le rapport, c’est surtout de questionner notre position (un peu hypocrite parfois) face au “naturel”.
Parce que moi aussi j’aimerais vivre sur Bisounoursland là où les hommes et les animaux vivent en harmonie, où les renards laissent tranquilles les poules du voisin (et/ou les voisins savent protéger leurs poules), où aucune autoroute ne vient morceler l’habitat naturel de nos amis les bêtes, où l’homme n’est pas un loup pour l’homme, bref, au pays où les licornes existent et le pineau coule à flots dans les fontaines publiques …
Mais je m’égare… Mon point ici est essentiellement de souligner la complexité humaine et ses paradoxes…
Évidemment en même temps, j’ai bien conscience que si chacun nie le problème et rejette la faute sur l’autre on ne résoudra jamais rien…
Et de toute manière, il faut bien commencer par traiter le problème quelque part…
Du coup, continuons de réfléchir un peu…
Donc, à côté de ces réflexions sur la taille du territoire et le type de nourriture proposée, reste (parmi beaucoup d’autres), a minima la question économique…
Faire un business autour de la photographie d’animaux “habitués” au nourrissage humain, est-ce bien noble et éthique tout cela ? (C’est en tout cas une question que certains de mes proches m’ont posée).
Alors, la question de la noblesse et de l’éthique c’est un truc compliqué, qu’est-ce qui est noble/éthique et qu’est-ce qui ne l’est pas (en photographie au moins) et selon les règles de qui d’abord ?
Ours qui s’interrogent quant à savoir si un photographe éthique a meilleur goût qu’un photographe non éthique…
Au final, c’est quoi une photo “noble” ou « éthique » ?
Quand on sait qu’en Belgique il est très difficile de rencontrer et de photographier le cerf par exemple, là où au Canada il n’y a parfois qu’à ouvrir la fenêtre de sa voiture pour faire une photo en gros plan d’un élan …
Est-ce moins “noble” de faire cette photo qui n’a pas nécessité les mêmes efforts ? Est-ce moins noble de se rendre chez un ami photographe qui partage avec nous un bon “spot” plutôt que de le chercher soi-même pendant des heures ? Est-ce moins noble de rémunérer cet ami pour le travail de préparation qu’il a fait ? Est-ce moins noble si cet ami en fait son métier ? Est-ce moins noble si “once in a while”, il met des graines (ou autre chose) pour attirer certains oiseaux ? Est-ce moins noble si ces oiseaux sont des ours? (Bon OK, là je brûle des étapes, je vous laisse digérer, mais vous voyez où je veux en venir).
Ours qui se demande s’il est plus éthique de manger un photographe qu’un chasseur…
À nouveau, il semble y avoir un gradient pour tout cela… et une réflexion toujours aussi riche et complexe (mais c’est ça qui est chouette non?)
D’ailleurs, si on pousse le raisonnement plus loin, est-ce que le touriste qui traverse les forêts Slovènes à la recherche d’un gros nounours à prendre en photo et laisse traîner son odeur partout, a-t-il un comportement éthique ? Est-ce que ce comportement est plus ou moins éthique que celui qui reste circonscrit dans des affûts fixes ? (Un petit exemple par ici d’ailleurs pour illustrer et vous faire un avis complémentaire : https://www.thebrokebackpacker.com/spotting-bears-slovenia/ ).
Du coup, est-ce que payer pour observer sur certains sites dans des conditions régulées ne pourrait pas partiellement contribuer à la non-dissémination de Mr et Madame “on cherche les ours” au cœur d’habitats préservés ?
Encore une fois, la réflexion demande plus de détails, et nécessite de savoir comment sont faites les choses, d’un côté comme de l’autre.
“Tu crois qu’on n’aura bientôt plus de maïs Francis ?”
– Meeting de réflexion quant aux nouvelles régulations du gouvernement à venir… –
Voilà, après ce long résumé, j’espère avoir contribué en partie à cette réflexion que tout un chacun aura le loisir de prolonger dimanche prochain en famille autour d’un bon verre et d’une bonne table après la messe (ou après ramadan au coucher du soleil, ou encore après le dernier concert d’Ed Sheehran, peu importe, l’important n’est pas là).
Comme beaucoup j’aimerais que l’humain n’interagisse pas avec l’animal d’une manière “non naturelle”, mais nous vivons sur la même planète et sommes amenés à nous côtoyer régulièrement…
De ces rencontres naissent des situations avec lesquelles il nous faut composer, et l’évolution des pratiques du nourrissage de la chasse aux affûts photographiques me semble être un sujet de réflexion intéressant pour questionner ces interactions.
Derrière ces affûts et ces ours, il y a également des rencontres humaines: D’anciens chasseurs parfois reconvertis en guide nature, des hommes fiers de leur région/pays à qui tient à cœur la sauvegarde de leur patrimoine naturel, des touristes en quête d’émotions “into the wild”, des détracteurs de la chasse, des semi-végétariens en devenir,… soulevant alors des questions, interrogations, discussions,…
De ces rencontres émergent alors aussi des réflexions nouvelles qui mèneront peut-être à de nouvelles habitudes…
Ce voyage au coeur de la Slovénie m’aura certainement enrichie sur ce point à bien des niveaux.
Il est aussi possible, dans une certaine mesure, que les photographies réalisées dans ce type d’affûts permettent à beaucoup d’amoureux de la nature débutants de profiter de rencontres inoubliables, dont ils pourraient revenir émerveillés et plus sensibilisés (si les régulations mises en place prennent effet comme elles le devraient).
Il est aussi possible que ces rencontres facilitées génèrent l’effet inverse et créent de plus en plus de lieux d’observation non régulés et de « consommateurs de nature » avides d’adrénaline et rarement satisfaits…
L’humain reste l’humain, et j’espère pour ma part (mais peut-être est-ce un rêve naïf), que la transmission de l’émerveillement de ces moments vécus à l’entourage (par les photographies, mais aussi les récits d’aventures vécues) puisse contribuer (même modestement) à la conscientisation de chacun face à la sauvegarde de notre propre habitat naturel et à la fragilité de l’équilibre et la cohabitation entre les espèces.
Pour les personnes dont la photographie n’est pas le métier et qui ne peuvent affûter durant de longues journées à la recherche d’une oreille de lapin ou d’un jeune renardeau, ces affûts payants (qu’ils s’agissent de ceux aux ours comme des autres) restent une possibilité de découvrir la nature sous un autre angle, d’observer les comportements de diverses espèces sans les déranger,… et aussi d’apprendre la patience et la frustration…
Enfin pour les petits curieux qui se demandent si c’est “pareil” niveau émotions que la rencontre d’un cerf ou d’un renard en billebaude dans nos forêts belges ou françaises, je dirais simplement que c’est différent…
Tout comme c’est différent de rencontrer par hasard un grizzly au détour d’une route canadienne, ou un renard dans le champ d’à côté, c’est évident que ça n’est pas pareil…
Le plaisir et la frustration de l’attente sont bien là, mais même s’il est vrai que les affûts aux feeding stations peuvent aussi être longs et infructueux, ils le sont certainement moins que lorsque l’on cherche le renard dans nos campagnes sans le nourrir… (là où il est encore malmené, car classé « nuisible »).
L’attente n’est pas la même, le plaisir non plus, lorsque l’on pense à la joie ressentie une fois qu’apparaît l’image sur le boîtier après plusieurs jours de longs affûts infructueux…
Après le plaisir de faire durer l’attente varie aussi selon chacun d’entre nous… (mais on s’égare là, vite vite clôturer avant que ça parte en sucette).
Personnellement je ne troquerais pour rien au monde ce plaisir de l’attente (photographique hein, on s’entend bien)…
L’excitation de relever une caméra de piégeage comme un(e) gamin(e) qui ouvre ses cadeaux de Noël, le plaisir infini de suivre les traces des animaux dans la neige et d’avoir l’impression de faire partie de ce monde caché, …
Les tentatives de devinettes permanentes (à qui appartient ce chant? À qui appartient cette crotte ? -Bah oui, laissez-moi rêver que je suis David Croquette-), le plaisir de prendre le temps d’observer, juste prendre le temps,… tant de petits plaisirs qui donnent l’impression d’intégrer la nature plutôt que de la consommer…
Maintenant, il faut aussi être honnête et avouer que lorsque papa ours sort de l’ombre à l’improviste ou que maman ours débarque avec ses deux petits oursons, niveau émotions, on est quand même servi… (J’ai reniflé mes larmes et j’assume)
Enfin voilà, vous l’avez compris, mon avis n’est pas tranché, ni définitif, plutôt « en balance » et à construire encore « au cas par cas » et en fonction des nouvelles expériences à venir.
J’ai écrit cet article dans le but de poser quelque part ma réflexion et je serais curieuse maintenant d’avoir votre point de vue…
Que vous ayez déjà expérimenté ce type d’affûts ou non, n’hésitez pas donc pas à enrichir le débat en commentant/m’écrivant/partageant cette réflexion (dans la joie, le respect, la politesse et la bonne humeur of course!)
À bon entendeur …
PS: Accessoirement si vous avez envie de visiter la Slovénie en dehors des affûts aux ours, il y a largement de quoi faire !
N’hésitez pas notamment à aller voir la grotte de la Croix (Križna Jama cave), une grotte karstique longue de plus de 8 km et dont la visite se fait uniquement à pied et en bateau gonflable, à la lumière de votre lampe torche sur un parcours de 3, 6 ou 9h (avec un guide obligatoirement je vous rassure).
Références :
1 Rapport des services forestiers slovènes (Rapport de 2012 citant les travaux de 2005) : http://www.bf.uni-lj.si/index.php?eID=dumpFile&t=f&f=14316&token=468116d57f07e3fe4844e1b3821867868f29507b
2 Résumé du rapport des services forestiers slovènes de 2005: http://www.slovenia.si/slovenia/country/geography/slovenia-a-land-of-forests
3 Brochure de présentation du service forestier slovène – Slovenia Forest Service Caring for forest to benefit nature and people (2005): http://www.zgs.si/fileadmin/zgs/main/img/PDF/PDF_BROSURE/Brosura_ANGL.pdf
4 Site web de la Banque Mondiale: https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/AG.LND.FRST.ZS?locations=FR-SI-BE
5 Résumé des informations concernant la densité d’ours en Slovénie: http://www.slovenia.si/visit/trails/brown-bear/
6 Rapport complet de 2007 concernant la densité d’ours en Slovénie: http://www.slovenia.si/fileadmin/brown_bear_long_version.pdf
7 Revue de la littérature sur les conséquences des activités de bear-watching: http://www.vincenzopenteriani.org/wp-content/uploads/ursus-arctos-BIOL-CONSERV.pdf
Pour plus d’informations et poursuivre votre réflexion:
– Le site où je me suis rendue grâce au concours : Slovenian Bears (via Wildpix Travel)
– Quelques guidelines pour une photographie éthique en anglais: http://www.conservationindia.org/resources/ethics et en français: https://posenature.fr/ethique-du-photographe/ (A noter que dans ces guidlines, l’appâtage – ou ‘baiting’ est bien déconseillé)
– D’autres types d’expériences naturalistes intéressantes en Slovénie : https://www.zelenikras.si/en/special-interests/2018032011072408/
– Le projet europééen DINALPBEAR pour la conservation et le management des populations d’ours bruns en Europe: www.dinalpbear.eu ainsi que le portail établi par l’Université de Ljubljana: www.discoverdinarics.org et leur brochure pour une approche responsable lors de l’observation des ours: http://dinalpbear.eu/wp-content/uploads/Odgovorno-opazovanje-medvedov-v-severnih-Dinaridih_EN_web.pdf
– Plus d’informations sur le management des populations d’ours en Slovénie via le site du gouvernement Slovène:The brown bear conservation and management in Slovenia (Accessible en ligne sur le site du gouvernement : http://www.mop.gov.si/fileadmin/mop.gov.si/pageuploads/podrocja/velike_zveri/brown_bear_long_version.pdf ) – document by the Ministry of the Environment and Spatial Planning (April 2007) ainsi que le site du ministère de l’environnement: http://www.arso.gov.si/en/soer/bear_story.html
– Plus d’informations sur le management des forêts en Slovénie: http://www.vlada.si/en/about_slovenia/geography/forests_in_slovenia/
– La présentation Power Point de Marko Jonozovic (Slovenia Forest Service Head of Wildlife & Hunting Department) – http://www.alpconv.org/en/organization/groups/WGCarnivores/Documents/Brown%20bear%20management%20Slovenia_Jonozovic%20Marko_26.4.2012.pdf?AspxAutoDetectCookieSupport=1
– Le site web du Dr Vincenzo Penteriani (Spanish Council for Scientific Research (C.S.I.C. Consejo Superior de Investigaciones Científicas), Pyrenean Institute of Ecology (IPE), Department of Biodiversity and Restoration), spécialiste de l’enregistrement vidéo des déplacements de grands mammifères et de l’étude du comportement des grands carnivores: http://www.vincenzopenteriani.org/
Et trois autres articles scientifiques intéressants dans le management des populations d’ours: